LAMBE TIGUI est une émission à la RTG Koloma, présentée par Nouman Kouyaté. L’idée est de raconter, par des griots ou des Gnaras, l’histoire du Manding, l’historique ou l’origine des noms Manding et faire la promotion de la paix et de la fraternité.
Cette initiative est à encourager et à multiplier sur toutes les autres cultures de la République de Guinée. Car, elle est une autre façon, plus facile à faire connaitre l’histoire de nos sociétés.
L’information concernant la descendance de Bilal lors d’un numéro de cette émission a attiré mon attention à plus d’un titre et m’a amené à faire un recule intellectuel, en me posant ces questions :
Est-ce réellement vrai que Soundjata Keita est une descendance de Bilal ? Comment, de l’Arabie en Afrique de l’Ouest, sa descendance a fondé l’Empire du Manding ou Mali ? Qui de sa descendance a été le premier en Afrique de l’Ouest ? Y-a-t-il d’autres éléments cohérents et fondés qui peuvent confirmer cela ?
Vous trouverez des éléments de réponses à toutes ces interrogations dans les paragraphes ci-dessous.
Tout d’abord, nous mettons à votre disposition, la traduction d’une partie de ce qu’a dit Filanen Sekou Kouyaté dans le numéro KONATE FASSA de l’émission LAMBE TIGUI : « …Le premier nom du vivant du prophète Mohamed (ps) est CONDE, suivi de CAMARA, de BERETE, de DIAWARA, de TRAORE de FADIGA et de KONATE. L’origine de KONATE provient le jour même du décès du Prophète Mohamed (ps). Parmi les noms royaux (Douno, Koulibaly, Konaté), le Mansaré est le plus ancien. Mais, à l’époque, on n’a pas dit Mansaré proprement dit. L’ancêtre des Mansaré est Bilal. Il est plus agé que le prophète Mohamed (ps) de 3 ans 6 mois. Bilal s’est soumis au prophète Mohamed (ps), faisant pour ce dernier, l’appel à la prière, la guerre, tenir la corde de son cheval…Lorsque le décès du prophète (ps) a été annoncé, les compagnons du prophète étaient complément abattus par la nouvelle, au point que certains devenaient ‘’handicapés’’, mélancoliques. Pour amoindrir la tristesse de Bilal, c’est alors qu’il lui a été dit de se calmer, qu’il est un EXEMPLE du prophète [EXEMPLE en Maninka signifie MISSAL ]. C’est ce mot MISSALI qui est devenu MANSARE …. Bilal n’a eu qu’un seul enfant qu’il nomma MADOUKANOUN (qui signifie homonyme de mon cher Mohamed). Le fils de ce dernier s’appelle Latrou, qui a eu pour fils Lahilatrou Kalabi… »
En effet, ma première recherche fut sur la descendance de Bilal. Le premier document que j’ai consulté fut Soundiata ou l’épopée Mandingue, écrit par Djibril Tamsir Niane. Ce livre n’est-il pas aussi une histoire racontée par un griot du nom du Djeli Mamadou Kouyaté et que l’auteur a traduite ? Dans ce livre, le griot dit : « …Bilal Bounama eut sept enfants, l’ainé LAWALO, partir de la Ville Sainte et vint s’installer au Manding…Lawalo eut pour fils Latal Katabi, qui eut pour fils Lahilatoul Kalabi…Lahilatoul Kalabi eut deux fils, l’ainé Kalabi Bomba et le cadet Kalabi Dauman… Kalabi Bomba eut le fils Mamadi Kani…»
En comparant les récits de ces deux griots, nous comprenons aisément une contradiction notoire entre eux : le premier dit que Bilal n’a eu qu’un seul enfant qu’il surnomma MADOUKANOUN ou Mamadi Kani. Or, Mamadi Kani dans le livre Epopée Mandingue est la 5e génération de la descendance de Bilal. Qui croit alors?
En approfondissant mes recherches, j’ai été stupéfait d’apprendre que Bilal n’a jamais eu d’enfant, donc de descendance : Les oulémas ont énoncé que Bilâl (Radhia Allahou Anhou) n’a pas eu d’enfants comme mentionné par l’imam Ibn al-Athîr dans le livre « Asad al-Ghâba. »
Ceci est également confirmé dans le livre : Manding Döfö (Histoire du Manding) de Solomana KANTE.
Si on admettait que Bilal soit l’ancêtre des Mansaré, l’on se poserait alors ces questions ?
Quelle est l’époque à laquelle sa première descendance est arrivée au Manding ?
Le Manding n’existait-il à l’époque de Bilal ou du prophète Mohamed (ps), soit du VI au VIIe siècle ?
Quelle langue Bilal parlait ? puis que le mot MANSARE est en Malinké ?
Sachant que Bilal soit d’origine Ethiopienne (mais qui est né en Arabie), pourquoi ses descendances n’ont pas choisi leur origine ?
Nous avons tenté de répondre à ces différentes questions.
1/ Quelle est l’époque à laquelle sa première descendance est arrivée au Manding ?
La réponse à cette question n’a pas été trouvée ni par ces personnes qui affirment que Bilal est l’ancêtre des Mansaré, ni par mes propres recherches documentaires.
2/ Le Manding n’existait-il à l’époque de Bilal ou du prophète Mohamed (ps), soit du VI au VIIe siècle ?
Il est avéré que le Manding existait bel et bien avant le VIe siècle. Le Manding a été un royaume vassal de l’empire du Ghana depuis le IIIe siècle, précisément vers 240. C.-à-d. 330 ans ou trois siècle avant la naissance du prophète Mohamed (ps). Dans le document Manding Döfö de Solomana Kanté, le Manding est issu d’un peuple appelé Wankara qui est venu de l’Est vers 2760 avant J-C. Avant le Nom Manding, c’était Wankradouu (terre des Wankara), puis Woudouma, avant de prendre le nom Manding quand il était sous l’emprise de Ghana ;
3/ Quelle langue Bilal parlait ? Puis que le mot MANSARE est en Malinké ?
La langue parlée par Bilal était l’Arabe. Alors, il est inconcevable cette version de Filanen Sekou Kouyaté : « … Pour amoindrir la tristesse de Bilal, c’est alors qu’il lui a été dit de se calmer ; qu’il est un EXEMPLE du prophète [EXEMPLE en Maninka signifie MISSALI ]. C’est ce mot MISSALI qui est devenu MANSARE … ».
Contrairement à cette version, MANSARE provient de deux mots : MANSA=ROI et REN=ENFANT. Ce qui a donné MANSAREN qu’on écrit MANSARE en Français, qui signifie ENFANT DE ROI.
En poursuivant mes recherches, je me suis rendu compte que, attribuer un nom manding à une origine arabe ou qui correspond à l’époque du prophète n’est pas le seul cas de Mansaré. D’autres noms, entre autres : Bérété, Traoré, Djanè, Fofana, Kouyaté, Camara ont tous été attribués comme suit :
-L’ancêtre des Bérété est Souleymane Faarissi, compagnon du Prophet ;
– L’ancêtre des Traoré est Lonceny, l’un des jumeaux Mbaly Fatoumata ;
– L’ancêtre des Djanè est Oumar Boul Likataaby ;
– L’ancêtre des Fofana est Aboubacar Sidik ;
– L’ancêtre des Kouyaté est Sourakata, le souposé griot du prophete
-L’ancêtre des Camara est Abass…(Manding Döfö, Solomana Kanté) ;
Et plus loin, une autre contradiction dans l’origine du nom KONATE. Dans son intervention, Filanen Sekou Kouyaté, dans la même émission de LAMBE TIGUI, KONATE FASSA dit deux choses contradictoires. Dans un premier temps, il dit : « … L’origine de KONATE provient le jour même du décès du Prophète Mohamed (ps)… » ; dans un second temps, il dit : « …Le troisième enfant (Naréman) qui avait pioché la poudre d’or avait fait plusieurs années sans avoir d’enfant. Lorsque quelqu’un n’arrive à avoir d’enfant, on l’appel KONA (stérile). Dieu, dans sa miséricorde, lui donna un enfant. C’est alors que les gens commencèrent à dire KONATAIߞߏ߬ߣߊ߬ ߕߍ߫ (il n’est pas stérile) ; il s’est reproduit, il n’est pas stérile. C’est ce qui a donné naissance au nom KONATE…».
Néanmoins, la deuxième version semble la plus plausible de par les arguments et la cohérence des faits ;
4/ Sachant que Bilal soit d’origine Ethiopienne (mais qui est né en Arabie), pourquoi ses descendances n’ont pas choisi leur origine ?
Si Bilal avait eu des descendances, et que celles-ci devraient se rendre en Afrique, se serait dans leur pays d’origine qu’est l’Ethiopie. Avec les réponses de ces questions, nous comprenons, sans risque de se tromper que Bilal n’est en aucun cas l’ancêtre des Mansaré. Et vouloir associer ces noms Manding à une origine arabe n’est pas concevable pour tout homme réfléchi.
Par ailleurs, il faille rappeler la place qu’occupent les griots dans notre société. « Autrefois les griots étaient les Conseillers des rois, ils détenaient la Constitution des royaumes par le seul travail de la mémoire ; chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition ; c’est parmi les griots que les rois choisissaient les précepteurs des jeunes de princes…Le griot nous apparait comme l’un des membres les plus importants de la société car c’est lui qui, à défaut d’archives, détenait les coutumes, les traditions et les principes de gouvernement des rois… » (L’épopée Mandingue, D.T. Niane).
De nos jours, vue l’évolution du monde et les changements d’ordre social, les rôles du griot doivent être revus en fonction du temps. Je pense que la transmission des valeurs historiques ou culturelles ne doit plus s’effectuer exclusivement par de bouche à oreille. Car cela a déjà montré ses limites. Aussi, nous ne sommes plus à une société mécanique, où l’enfant doit suivre obligatoirement la profession de son père. Si non, un Keita ne serait pas griot ou chanteur ; un Kouyaté ne serait pas dirigeant ; un Kanté ne serait pas footballeur.
Nous devons être réaliste et essayer de restructurer notre société en fonction de l’évolution du monde, tout en restant enracinés à nos valeurs et coutumes.
Pour ce faire, je pense qu’il serait important de créer une école de griot où le métier de griot sera enseigné par les griots à toutes personnes le désirant. Les histoires qui seront enseignées, devraient d’abord, en amont être discutées pour vérifier la concordance des faits, surtout en utilisant les dates. Ceci pourra être un facteur important pour éviter de tomber dans le ‘’passionnisme’’.
Je ne suis pas historien, je ne prétends pas être un historien, mais j’essaye de comprendre l’histoire de ma société et de mon continent. Ne dit-on pas : si tu ne sais pas d’où tu viens , tu ne sauras pas où tu vas !
Oser dénoncer les limites de nos griots, n’est en rien remettre en question les rôles qu’ils jouent dans la société.
Nous avons besoin du progrès, pour cela, il faut qu’au essaye de dépasser nos limites. En d’autres termes, corriger nos propres insuffisances.
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Ibrahima Loncebalitai KOANTE
Sociologue, Activiste de la Société Civile Guinéenne, Ecrivain, Professeur N’ko, Consultant en Traduction et Panafricain.
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loncebalitaik@gmail.com