L’ombre vacillante d’un ancien champion de football pénètre dans le stade Juan-Carmelo-Zerillo de La Plata, au sud-est de Buenos Aires, ce vendredi 30 octobre 2020. Emmailloté dans un survêtement noir, le visage à moitié caché par un masque de la même couleur, Diego Maradona est venu assister au premier match, depuis sept mois, de l’équipe professionnelle dont il est l’entraîneur, le Gimnasia La Plata. C’est aussi le jour de son anniversaire. Dans un stade vide de supporteurs, Covid-19 oblige, mais où figurent des banderoles à sa gloire, une brève cérémonie, avec remise de trophées et embrassades, l’attend.
Maradona a 60 ans, mais son corps en paraît quinze ou vingt de plus. Deux cerbères l’aident à marcher ou à lever le bras, avant d’aller l’asseoir sur un fauteuil en forme de trône, sur lequel il ne restera pas longtemps sitôt donné le coup d’envoi. La dernière apparition publique de l’ancien n° 10 ne laissait augurer rien de bon. Hospitalisé trois jours plus tard afin d’être opéré d’un hématome sous-dural, Diego Maradona est mort d’une crise cardiaque, a annoncé, mercredi 25 novembre, son porte-parole.
La mort d’un champion est toujours un événement triste. Celle du « Pibe de Oro » (« le gosse en or »), comme l’Argentine continuait de l’appeler, réveillera de profonds antagonismes chez les amateurs de ballon rond. Peu de sportifs auront, comme lui, alimenté avec autant de zèle les deux foyers contraires du supporteurisme que sont l’adulation et la détestation. L’auteur de la « main de Dieu », le protégé de la mafia napolitaine, l’ami de Fidel Castro et d’Hugo Chavez, le cocaïnomane incurable ne fut pas un enfant de chœur ni un modèle de vertu, loin de là. Il restera néanmoins comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football. Un génie du ballon à l’inspiration insolente.
Bidonville de Buenos Aires
Ses origines pauvres ont contribué à façonner le « mythe Maradona » dans l’imaginaire populaire argentin, surtout parmi les plus démunis. Malgré ses frasques et sa déchéance, ses fans l’ont aimé jusqu’au bout d’un amour viscéral, inconditionnel et éternel. Icône internationale, il a inspiré le cinéaste Emir Kusturica (avec le documentaire Maradona, sorti en 2008), le chanteur altermondialiste Manu Chao (qui lui a dédié la chanson Santa Maradona, en 1994), la romancière Alicia Dujovne Ortiz (Maradona c’est moi, La Découverte, 1993) ou de nombreux groupes de rock argentins, comme Los Piojos (« les Poux »), dont l’un des tubes assure que « si Diego, demain, joue au ciel, ils mourront seulement pour pouvoir le voir jouer ».