La chambre internationale du tribunal de commerce de Paris et la chambre internationale de la cour d’appel de Paris sont les deux volets les plus récents de la modernisation de la justice française en matière économique. Elles ont pour objectif de faciliter l’accès aux juridictions commerciales françaises pour les grands groupes internationaux dans leurs litiges commerciaux internationaux et de renforcer l’attractivité de la place de Paris dans les clauses attributives de compétence.
Le Contentieux
La cour d’appel de paris à travers sa chambre commerciale internationale a rendu un arrêt ce 13 avril 2021 sur un recours en annulation dont la partie demanderesse est la Guinée . Maître Mory Doumbouya était l’agent judiciaire de l’Etat à l’époque des faits , aujourd’hui ministre de la justice, la Guinée sera représenté par un pool d’avocats :
Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, ayant pour avocat plaidant Me Michael Ostrove et Me Mamadou Gacko, DLA PIPER LLP, avocat au barreau de Paris .
Les DEFENDEURS AU RECOURS c’est A.D. -TRADE BELGIUM S.P.R.L. Immatriculée au registre de commerce de Belgique sous le numéro 0450 853 525 Ayant son siège social : Vredebaan 69 – 2640 Mortsel (BELGIQUE) prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me Cédric FISCHER et Me Margaux COMPAGNON,de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,
Les FAITS
1-La société AD Trade Belgium S.P.R.L (ci-après « AD Trade) est une société de droit belge qui intervient dans le secteur de la défense et de la sécurité et a notamment pour activité le commerce d’armes, de munitions, d’équipements militaires et de matériels de surveillance ou d’espionnage. C’est une filiale d’AD consultant de l’homme d’affaires israélien Gaby Peretz spécialiste des équipements militaires et des renseignements sécuritaires
2-Le 11 janvier 2011, la société AD Trade a conclu avec le Ministère de la Défense Nationale de la République de Guinée deux contrats:
– Un contrat de fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-UR 134/11 relatif à l’établissement de l’unité de renseignement présidentielle, dénommé Projet Léopard.
– Un contrat de fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-GR 133/11 relatif à la protection du domicile privé et du palais du Président de la République, dénommé projet : Panthère.
Il y’a eu résiliation unilatérale coté Guinéen des contrats léopard et panthère et des factures non payées selon les termes de la procédure ; ce qui a poussé la Société AD Trade a introduire une procédure d’arbitrage sous l’égide de la CCI le 08 Octobre 2015 .
-Par une Sentence rendue le 22 novembre 2017, le Tribunal arbitral a condamné la République de Guinée à payer à la société AD TRADE les montants suivants :
1) 31 906 745 euros à titre de payement pour les services et matériel fourni dans le cadre du Contrat Léopard ;
2) 13 782 599 euros à titre d’intérêts moratoires de 10.3% calculés jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ;
3) Un intérêt moratoire capitalisé de 10.3% à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ;
4) 157 402.50 USD au titre des frais d’arbitrage de la CCI et 385 119 euros à titre de frais de défense.
5-La Sentence a été notifiée le 16 mars 2018 à un représentant de l’agence judiciaire de l’État de la République de Guinée.
6-La Sentence a fait l’objet d’une ordonnance d’exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris du 8 décembre 2017.
7-La République de Guinée a formé un recours en annulation devant la cour d’appel de Paris contre cette sentence par déclaration du 17 mai 2018.
Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2020, la République de Guinée demande à la cour d’appel de Paris de:
– JUGER que la reconnaissance et l’exécution de la Sentence seraient contraires à l’ordre public international français ;
– JUGER que le Tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction ;
En tout état de cause, de :
CONDAMNER la société A.D. – Trade Belgium S.P.R.L. à verser à la République de Guinée la somme de 230.000 Euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens de l’instance.
Quelques arguments côté Guinéen
-La Guinée estime que la sentence donne effet au contrat Léopard, marché conclu en violation de l’exigence d’approbation des marchés publics prévue par l’article 37 du code des marchés publics guinéen
-Elle explique que ces dispositions sont relatives à la commande publique et ont pour finalité le respect d’un principe fondamental de comptabilité publique et que les règles qui régissent la commande publique sont des règles impératives du droit public, le défaut d’approbation d’un marché public étant par ailleurs sanctionné par une nullité de plein droit.
-La République de Guinée soutient en second lieu que la Sentence est contraire à l’ordre public international en ce qu’elle donne effet au contrat Léopard conclu en violation des dispositions d’ordre public de la Décision 2010/638/PESC du 25 octobre 2010, aux termes de laquelle le Conseil de l’Union européenne a prohibé la réalisation par tout ressortissant européen d’opérations commerciales, liées à certains équipements militaires ou autres équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, à destination de la Guinée
En outre , la Guinée soutient que « les prix du contrat Léopard révélerait qu’AD TRADE aurait délibérément trompé son cocontractant sur la valeur des prestations et équipements fournis et sur l’adéquation des prix proposés ».
AD trade soutient que :
Elle soutient de plus que le défaut d’approbation a posteriori par le Ministre chargé des finances n’est pas une violation grave, dès lors que la loi elle-même institue plusieurs dérogations qui s’appliquaient aux contrats litigieux. Elle ajoute que l’article 37 est rarement respecté, sans que la sanction de la nullité de soit jamais appliquée, comme l’établit un audit national. Elle ajoute qu’il est désormais supprimé pour les marchés du type Léopard et Panthère, les dispositions ayant été abrogées et remplacées par la Loi n°L/2012/020/CNT du 11 octobre 2012 et un décret n° D/2O12/128/PRG/SGG du 3 décembre 2012 qui attribuent une compétence exclusive au Président de la République, et à une commission spéciale placée à ses côtés et ne relevant que de lui, dont il se déduit que la République de Guinée considère que l’approbation par le Ministre des finances des marchés de sécurité n’est pas nécessaire à la sauvegarde de son organisation politique, sociale et économique.
Par ailleurs ,-Elle explique par ailleurs que le contexte sécuritaire et politique en République de Guinée entre 2008 et 2010 a contraint l’UE à mettre en place des mesures restrictives à son encontre, qu’elle a ensuite levées en 2014. Elle soutient qu’aux jours de la demande d’arbitrage et du prononcé de la Sentence (et a fortiori au jour où la cour statuera) les mesures restrictives étaient définitivement annulées par une Décision modificative de l’UE du 14 avril 2014 et un Règlement de la même date et soutient que la République de Guinée s’est déloyalement gardée de les révéler à la cour de sorte que la République de Guinée se prévaut ainsi à tort d’une réglementation européenne qui a été définitivement abrogée de sorte qu’elle ne peut s’en prévaloir devant le juge de l’annulation.
Comme quoi, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
L’impérium des juges de la Cour
Les juges certifient que :
la République de Guinée ne peut invoquer devant le juge de l’annulation la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels étant observé que le défaut d’approbation des contrats n’est pas imputable à la société AD Trade.
Sur le bien fondé de ce grief ;
Par décision n°2010/638/PESC du 25 octobre 2010, le Conseil de l’Union européenne a interdit « la vente et la fourniture à la République de Guinée […], par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, […], d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit, y compris des armes et des munitions, des véhicules et des équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour les articles précités, ainsi que des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qu’ils proviennent ou non de leur territoire ».
Ces mesures ont été prises après que le 27 octobre 2009, « le Conseil a adopté la position commune 2009/788/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République de Guinée, en réaction à la répression violente à laquelle les forces de sécurité se sont livrées contre des participants à des manifestations politiques, le 28 septembre 2009 à Conakry ».
Tenant compte de l’évolution de la situation en République de Guinée, l’embargo sur les armes et l’embargo sur les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne a été levé par décision n°2014/213/PESC du Conseil du 14 mars 2014 (suivi du Règlement UE n°380/2014 du 14 avril 2014).
-A ce jour, ces mesures d’embargo ne font plus partie de l’ordre public international français.
En l’espèce, le contrat n° ADT UR 134/11 dénommé « projet LEOPARD » signé le 11 janvier 2011 portait selon son article 1er sur la « fourniture de biens et la mise en oeuvre de divers services tels que décrits en Annexe A – Dossier Technique ».
Il n’est pas contesté que ces matériels n’ont finalement pas été livrés de sorte que s’agissant de ces matériels aucune violation des mesures européennes n’est caractérisée.
Outre le contrat prévoyait en son annexe A 2 la fourniture de matériel électronique suivant :
– Un système TrackPoint, ayant pour objet de recueillir, analyser et afficher les emplacements d’utilisateurs de téléphones mobiles en temps réels,
– Un système GALTrack qui a pour objet la surveillance de communications téléphoniques, – Un système Cobra, permettant des mesures de paramètres de fréquences radioélectriques (localisation de l’émetteur),
– Un Centre de contrôle et de commandement (C3),
– Un véhicule de commandement, de filature et de surveillance,
– Un système GTrack d’interception tactique de communications,
– Un système TOPEYE de surveillance aérienne Jour/Nuit depuis un ballon gonflé à l’hélium,
– Divers équipements de surveillance audio et vidéo et de contre-surveillance (détection et localisation de systèmes de surveillance), dont les systèmes Oscor.
Pour justifier de ce que ces matériels ne rentrent pas dans le champ des mesures d’embargos précitées, la société AD Trade produit un rapport d’expertise en date du 26 février 2019 et son complément du 31 août 2020, émanant de Monsieur Philippe de Braquilanges, ingénieur diplômé de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de Paris, dont l’expérience et la compétence ne peuvent être sérieusement mises en doute sur de simples allégations non étayées, et qui a notamment participé ainsi que l’indique son curriculum vitae à la constitution de dossiers de demande d’autorisation d’exportation d’équipement militaires depuis la France auprès de la Commission Interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, ce qui le qualifie particulièrement pour mener l’expertise précitée.
L’expert a procédé à une analyse des caractéristiques techniques des matériels précités
Conclusion
La cour, par ces motifs :
1-Rejette le recours en annulation contre la sentence CCI n°21390/MCP/DDA rendue le 22 novembre 2017 ;
2-Déboute la République de Guinée du surpplus de ses demandes ;
3-Condamne la République de Guinée à payer à la société AD Trade Belgium S.P.R.L la somme de 200 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
4-Condamne la République de Guinée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Cependant , la République a encore la possibilité de faire appel de cette autre sentence .