Depuis l’accession du Pr Alpha Condé au pouvoir en 2010, nombreux sont des Guinéens qui égrènent de jour en jour, les acquis de sa gouvernance avec un sentiment de satisfaction. D’autres par contre, portent le regard sur les nombreux défis qu’il peine à relever pour le bien-être de sa population. Il s’agit notamment du secteur des transports publics. De l’avis de nombreux spécialistes du domaine, c’est l’éternel défi aux conséquences multiples qui, si rien n’est fait, risque de créer un réel problème social à l’Etat dans un futur proche.
La relégation du secteur des transports au dernier rang des priorités nationales par les autorités guinéennes, ne date pas de l’époque d’Alpha Condé. Mais en vertu des promesses qu’il a faites et des obligations qui l’incombent, il se doit de gagner le pari à tous les niveaux pour offrir aux Guinéens le bonheur qu’ils ont tant espéré depuis plusieurs décennies.
De l’indépendance jusqu’à l’avènement du Pr Alpha Condé au pouvoir en 2010, la seule société de transport public urbain et interurbain qu’a connu le pays était la SOGUITRANS. Elle a été créée en 2007 par l’ancien premier ministre Lansana Kouyaté. Cette société disposait de 100 bus financés à hauteur de 7,5 millions de dollars par la CEDEAO. Par mauvaise gestion, cette société n’aura pas fait long feu.
En janvier 2012, l’Etat guinéen décide de sa liquidation. De ses cendres, est née une nouvelle société dénommée ‘’SOTRAGUI’’ pour assurer le transport urbain et interurbain. Selon le décret de création, cette société de transport est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), dotée de la personnalité juridique morale, de l’autonomie financière et de gestion. Elle a été placée sous la tutelle du département des Transports. Elle est née grâce à la coopération chinoise qui avait à l’époque offert 100 bus à la Guinée alors que l’Etat guinéen ne disposait que de quelques anciens bus de la SOGUITRANS.
« Avec le temps, le gouvernement aura l’occasion d’étoffer ce parc », a affirmé Dirius Dialé Doré, à l’époque ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement. Malheureusement, cet engagement n’a jamais été honoré par le gouvernement et aucune acquisition ni en taxi, ni en bus n’a été faite jusqu’à date.
Pour éviter le même sort qu’a connu la SOGUITRANS, le Président Condé a fait appel à l’expertise de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) de France pour cogérer la SOTRAGUI.
« Nous avons fait appel à la RATP parce que nous sommes incapables de gérer nos propres biens », affirmait Alpha Condé le 21 décembre 2011 dans un discours tenu à l’occasion du premier anniversaire de sa prestation de serment en tant que Chef de l’Etat.
Quelque temps après, la société française s’est retirée de la gestion de la SOTRAGUI qui a fini par s’écrouler, laissant ainsi 400 travailleurs au chômage. C’est justement dans cette condition que la municipalité d’Istanbul à la suite d’une visite d’Etat du Président Erdogan à Conakry, a offert 50 bus à la Guinée en 2016. Ces engins qui étaient déjà mis en circulation en Turquie, sont restés stationnés à Conakry pendant 2 ans par manque de gérance responsable, qualifiée et soucieuse des problèmes de la population.
Ainsi, en 2018, à la suite d’un accord entre l’Etat Guinéen et la société Albayrak de la Turquie pour l’exploitation et l’extension du port autonome de Conakry, la gestion de la SOTRAGUI est entrée dans le portefeuille de cette société spécialisée dans le transport. Elle s’est engagée à accompagner l’Etat dans le domaine, ce depuis 2018 malgré toutes les difficultés qu’on peut imaginer.
Par souci de voir Albayrak Transport connaitre le même sort que les deux précédentes sociétés et par-delà, de perdre leur emploi, les travailleurs tirent la sonnette d’alarme pour attirer l’attention de l’Etat sur sa responsabilité. De nos jours, les 465 travailleurs qui avaient passé près plus de 3 ans au chômage risquent encore de perdre progressivement leur emploi.
D’abord, il faut rappeler que la société Albayrak dès la mise en circulation des 50 bus Turques, est parvenue à remettre en état 30 des 90 bus de la SOTRAGUI qui étaient presque dépouillés de toutes les pièces. Ce qui a donné un total de 80 bus dans la circulation. Au fil des ans, 16 d’entre eux sont retombés en panne, 10 caillassés dans les manifestations et 4 autres brûlés. Ce qui a réduit le nombre à 50 bus dans la circulation pour toute la capitale dont 35 sur l’autoroute et 15 sur la route le prince.
Conséquences, tous les jours, les carrefours sont envahis de personnes sous le chaud soleil à la recherche de véhicules pour rejoindre les différentes destinations. Face à cette demande accrue, les chauffeurs des bus se voient dans l’obligation d’embarquer le maximum de personnes sans tenir compte du nombre de places disponibles et de la chaleur. Aussi, plus le nombre de bus diminue, plus la société Albayrak est obligée de réduire le personnel de travail. Ce qui, visiblement, ne réserve pas un lendemain heureux pour les employés mais aussi pour la population.
L’autre conséquence qui commence aussi à se faire sentir dans la circulation, est la prolifération des motos et des tricycles sans aucune réglementation. Tous les jours, ces engins causent d’énormes dégâts et font assez de victimes sur les routes.
La triste réalité dans cette situation, est que l’Etat Guinéen n’a aucun investissement ni en nature, ni en espèces dans le fonctionnement de Albayrak Transport selon des travailleurs sous couvert d’anonymat. C’est donc la société elle-même qui serait en train de jouer le rôle de l’Etat dans le transport urbain pour alléger la souffrance des populations. Ce fardeau comporte le traitement salarial de près de 500 personnes, le carburant, l’entretien et la réparation des bus.
Interrogé sur la destination des recettes générées dans la vente des tickets, un autre travailleur nous confie que le montant ne parvient jamais à couvrir les 30% des charges. Les véhicules consomment beaucoup plus qu’il ne se doit, dû notamment à l’état des routes et aux embouteillages interminables. Et certaines des pièces de rechange coûteraient jusqu’à 3000 dollars Américain.
Avec la pandémie de COVID-19, le gouvernement dans son plan d’urgence, a rendu le transport public gratuit dans les bus d’Albayrak durant 9 mois. La mesure aurait coûté 18 milliards de francs à l’Etat. Et c’est la seule fois que la société Albayrak aurait bénéficié d’un soutien financier de l’Etat dans la gestion des transports publics ce depuis 2018, déplore un autre employé de la société. La même source indique que ce montant était largement en déçà des charges assurées pendant cette période de gratuité par la société de transport. Car, tous les employés ont continué à percevoir leurs salaires même ceux ayant été contraints de rester à la maison. Pendant les 9 mois, les bus assuraient la mobilité de 30.000 personnes par jour selon une source gouvernementale.
<< Il faut dire sans risque de se tromper que l’Etat Guinéen ne dispose d’aucune politique adéquate ou encore manque d’attention réelle sur le secteur des transports qui pèse beaucoup dans la vie des Guinéens >>, s’indigne un spécialiste qui ajoute :
<< Par ce secteur, l’Etat pourrait envisager des politiques d’assistance sociale à plusieurs catégories de la population. A l’image d’autres pays, les étudiants peuvent être dotés de cartes de transports, les personnes du troisième âge, les personnes démunies, les femmes enceintes et autres >>.
Mamoudou Babila KEITA