Ceci est un récit personnel et une interrogation. Tout comme moi, les fils de Gueckédou veulent des réponses aux questions suivantes : qui nous a attaqués ? Et pourquoi ? Surtout pourquoi Macenta, Gueckédou, Madina Woura ? Je n’accuse donc personne, mais l’Etat a l’obligation de fournir les réponses au 20ème anniversaire de cette incursion rebelle qui a complètement détruit la ville de Tchèndènan Démbadouno en 2020.
L’avant 6 décembre 2000
Octobre l’an 2000, je m’installe dans la commune urbaine au quartier Gueckédou Lélé (dans l’ancienne FAPA). J’avais un peu plus 13 ans et connaissais très peu cette ville très peuplée. Derrière nous, nous avions le mois de septembre qui a connu des attaques rebelles à Macenta et Tékoulo, une sous-préfecture de Gueckédou, située sur la nationale Gueckédou-Macenta. Tous nos frères de Tékoulo ou presque avaient rallié la commune urbaine. Les élèves pour poursuivre les études, d’autres citoyens pour fuir d’éventuelles attaques. Comme s’ils avaient fait le bon choix. Sauf qu’ils ne pouvaient que choisir la commune urbaine, où il y a un camp militaire et des services de sécurité « compétents ».
Les rumeurs persistantes disaient que Gueckédou serait attaquée aussi. Par précautions, les responsables de villages ont crée des groupes d’autodéfense, composé essentiellement de jeunes dynamiques (nos grands frères). Nous avons donc été habitués par des barrages érigés aux abords des villages. Souvent on y trouvait des armes traditionnelles de chasse pour intimider, mais qui ? Personne ne savait. Donc l’opération consistait à fouiller systématiquement les personnes qui entraient et sortaient des villages. Le gueckédois avaient perdu confiance aux guinéens et même aux gueckédois.
Je parlais de rumeurs. Elles étaient à la fois vraies et fausses. Toujours est-il que les habitants de Gueckédou s’attendaient à une attaque. La peur était là et le moindre bruit, les gens sursautaient. Je me souviens un dimanche du mois de septembre, nous étions à une messe dominicale à la CCB sainte Anne de Bondodou, c’est à 1 kilomètre de Lewa chez moi, un vieux de passage a vu un serpent. Et il crie en Kissi Kèwo qui veut dire serpent, les fidèles à la messe ont entendu Tyôwo qui veut dire guerre. Dans les districts de Lewa et Yaradou Kao (Temessadou Djigbo), les populations ont bougé soit pour entrer en brousse, ou pour rallier la commune urbaine. C’était de la panique totale. Pourtant aucun tir n’avait été entendu. Dans ces groupes d’autodéfense, certains s’étaient faits remarqués et ils ont été invités à porter volontaires pour combattre l’ennemi.
Vint alors le 6 décembre 2000
Du vendredi 1er au Mardi 5 décembre, les rumeurs commençaient à devenir de plus en plus précises. Elles parlaient de lettres déposées à certains endroits de la ville et qui disaient que les rebelles entreraient en action en décembre. Le préfet d’alors aurait même été directement informé par les assaillants ; (encore une fois ce sont des rumeurs). Le 6 décembre j’étais seul dans la chambre de notre tuteur, une de nos cousines malades dans la seconde chambre de l’intérieur, mon grand frère collégien lui aussi à l’époque (10ème année) et notre cher oncle Henry, dans la chambre du dehors. 1 heure du matin, notre cousine entend des tirs : pan pan pan. Elle crie, Bernard, Bernard, Bernard, Oncle, Oncle. Personne n’a répondu. J’étais plus proche d’elle, mais je ne sais pas pourquoi elle n’y a pas pensé. Alors elle a estimé que c’était un simple bruit, surtout qu’elle ne voulait pas être à l’origine d’une nouvelle panique. 2h du matin, les tirs se font entendre de plus belle, mais la nouveauté, c’est qu’il y a des cris de citoyens qui nous dépassent déjà pour fuir. Cette fois la cousine n’appelle plus, elle crie elle aussi. Le grand frère se réveille, notre cher oncle aussi.
Il faut dire que nous étions moins en danger que nos frères de Sôlôndonin, Kiéssènèye, Kangôh, Seylannin, Bambo des quartiers directement ouverts sur le Libéria, l’origine des rebelles (selon ce qu’on dit). Mais nous étions quand même en danger parce que les assaillants ne sont pas venus le 6 décembre, ils étaient là des jours, voire des semaines avant.
Donc il fallait ouvrir la porte du salon, la cousine malade a peur. Les tirs continuent à retentir et pendant ce temps devinez ce que je faisais ; je dormais très bien. Mon grand frère a dû escalader le mur, nous avions la chance d’habiter une maison qui n’était pas fermée par du plafond. Il m’a réveillé en me remuant bien fort et quand je l’ai regardé, il m’a dit Poua Lwèye : c’est-à-dire, les hommes sont entrés.
C’était suffisant pour que je comprenne, c’était suffisant pour que n’importe qui comprenne. Je l’ai rejoint dans leur chambre où notre cher oncle (là j’ai apprécié son calme et sa maturité, un vrai Telliano) rassemblait ses bagages sans panique. Mon grand-frère (qu’il m’en excuse) a enlevé et porté par trois fois un même pantalon. Oncle Henry a crié sur lui (c’était une première, les deux ont le même âge et passaient tous leur temps à jouer comme des gamins) et d’un ton fort, j’ai entendu : « Bernard tu as quoi ? Tu ne vois pas que Gueckédou est en train de se vider ?».
Mon grand frère était perturbé et préoccupé par trois choses et je l’ai compris juste lorsqu’on a bougé de la ville : la première, c’est qu’il doit prendre ses bagages et les miens, deuxièmement, notre cousine malade portait deux enfants (un garçon bébé et une petite fillette d’un peu plus de trois ans) et la troisième, c’était sans doute moi. J’ai eu la chance de fréquenter le même collège que lui. Et quand nous devions traverser une plaine souvent inondée d’eau pour rallier le collège Sokoro, il me prenait au dos. Ma taille ne me permettait pas de sauter et dépasser certains espaces si grands.
Donc il se demandait s’il devait me prendre pour fuir, ou s’occuper de la cousine avec ses enfants, ou ses bagages. Il est arrivé à une conclusion bien simple. Il a pris mes bagages et les siens, il a demandé à la cousine de prendre un peu de ses bagages et son bébé et moi je devrais porter sur l’épaule, notre nièce d’un peu plus de trois ans. Et mon grand frère d’ajouter « Jacques on ne peut pas faire autrement, on ne laissera personne ici, débrouilles toi ».
Nous avons donc pris le départ entre 2 heures et 3 heures du matin. Nous marchions donc pour rejoindre en priorité notre village où Maman n’arrêtait pas de pleurer. L’information était déjà arrivée dès 2 heures du matin, alors qu’il n’y avait pas de téléphone à l’époque. Dès que nous sommes sortis de la ville, nous avons aperçu un frère, jeune volontaire. Il est sorti tout doucement de sa cachette et a pointé son arme (PMAK) sur nous. Il se connaissait bien avec mon grand frère, donc il lui demande « les rebelles sont vraiment entrés », mon frère lui répond « écoute la guerre ce n’est pas ici, c’est en ville, laisses nous passer ». Il accepte de nous laisser partir en nous conseillant de ne pas répandre la nouvelle dans les villages. Dommage pour lui, les villages étaient plus informés que nous.
Sur les hauteurs de Démbadou, le deuxième village sur la route menant au nôtre après la commune urbaine, nous avons vu des projectiles rouges dans le ciel, des balles de signalement nous a-t-on appris. C’est un de nos compagnons qui nous l’avait dit. Je suis tombé une fois avec ma nièce. Ces balles n’avaient aucun bruit pourtant et notre compagnon essayait de nous rassurer que c’était fini, l’armée guinéenne allait bientôt entrer en action et les rebelles allaient être chassés. Avant de finir la colline, je suis tombé encore pour la deuxième fois. Ma nièce et moi avons été blessés.
Au troisième village sur la route (Sagbè) se trouve notre tante maternelle, la mère de notre cousine. Au moins nous étions rassurés mon grand frère et (surtout) moi que nous allions être déchargés. Mais la tante demande qu’on y attende jusqu’à 6 heures au-moins avant de continuer. Il était 5 heures environs. L’armée guinéenne comme notre compagnon l’avait dit venait d’entrer en action. Les premiers tirs nous ont trouvé dans le salon de notre tante. C’est pour la première fois que nous entendions un tel bruit de plus près. Au premier coup, je suis encore tombé, pourtant j’étais bien assis. Donc plus question de rester, nous avons continué notre chemin.
Les tirs ont continué toute cette matinée et nous avions cru que les rebelles étaient neutralisés. Quel fut l’étonnement de constater que les bombes ne partaient en réalité que sur les maisons des pauvres citoyens. Et pour preuve les rebelles sont restés toute la matinée du mercredi 6 décembre en ville. En partant, sans difficultés bien sûr, ils ont emportés des biens et des otages. Je vais citer deux, tous morts aujourd’hui : le vieux policier Saa Koundouno, un voisin, père d’Emmanuel Dominos Koundouno alias EDK, un confrère et camarade de promotion, actuellement en service à la radio rurale de Gueckédou. Il était déjà très âgé et les rebelles lui ont fait porter des bagages assez lourds. Odile Doufangadouno, la grande sœur d’un ami de promotion Eugène, aujourd’hui ingénieur du génie rural à Siguiri, elle n’est pas morte en otage, mais elle a témoigné avoir vu le vieux Koundouno souffrir et d’autres mourir en sa présence.
Deux autres encore vivants : nos neveux jumeaux (Tamba Paul et Faya Paulin Sandouno), enlevés lors de l’attaque de Nongoa en mars 2001, ont été amenés en Sierra Leone et contraints à porter des armes au compte d’un groupe armé. Ils ont frôlé la mort, puisqu’ils combattaient contre des groupes sans pitié. Je me souviens lorsque nous étions déplacés de guerre à Kissidougou en 2001, notre père menait des démarches auprès de la Croix Rouge qui nous amenait des vivres, pour se rassurer si nos neveux étaient encore vivants. Il ne parlait pas français, donc c’est à nous qu’il disait de demander.
Nous n’étions pas conscients que c’était juste pour essayer, mais nous n’avions eu aucune réponse satisfaisante. Nos neveux sont revenus en septembre 2001. Seuls les deux savent raconter comment ils se sont libérés des griffes de l’ennemi. Ils nous ont trouvés complètement transformés, habitués à la drogue. Ils ont combattu sous contrainte et tués d’innocentes personnes parce qu’ils étaient en captivité. Et ils n’ont bénéficié d’aucune désintoxication. Puisse Dieu leur accorder le pardon. Pour information, ils ont tous les deux poursuivis des études en Guinée. Faya Paulin est allé jusqu’à l’université, il a fait Bio-Chimie à Nzérékoré Et Tamba Paul a fait une école professionnelle.
L’attaque de janvier 2001
On parle du 6 décembre 2000, mais en réalité, l’attaque la plus cruelle et complexe est celle du 10 janvier 2001. Le gouvernement avait affirmé avoir maîtrisé la situation et encouragé la reprise des activités dans la commune urbaine. Le ministère de l’éducation a appelé à la reprise des cours dès janvier, après donc les congés de fin d’année que nous avions dû prendre un peu plutôt. Donc pour nous élèves, jeunes collégiens, nous avions hâte de reprendre le chemin de l’école.
La commune urbaine de Gueckédou compte trois collèges publics : Bambo (le plus vieux), Karamoko Kourouma (le deuxième plus vieux) et Sokoro (crée en 1995, très jeune, c’est là j’ai étudié). A l’époque nous avions un seul collège privé protestant de renom Emmaüs Bambo et Emmaüs sont dans un même quartier, ouvert sur la Makona, d’où provenaient les rebelles et Sokoro dans le quartier Waou Tow. Sokoro est sur une colline qui est, elle-même surplombée par une montagne. Et derrière celle-ci, vous avez le fleuve Makona et le Libéria. En saison sèche, on peut voir les villages du Libéria à l’œil nu.
Il est 10 ou 11 heures ce 10 janvier, lorsqu’une vendeuse de patates dans la cour de notre école, voit descendre de cette montagne, des individus armés. Elle informe le surveillant général qui a dédramatisé. Déjà des semaines auparavant le préfet avait tenu des réunions pour mettre en garde contre les rumeurs et fausses informations et il y avait eu des sensibilisations dans ce sens. Des individus, la dame entend cette fois des tirs (pan pan pan). Elle part voir le surveillant et lui dit cette fois de libérer les élèves qu’elle venait d’entendre les tirs. Le surveillant lui dit qu’il s’agit probablement des entraînements des soldats guinéens. La dame a ramassé ses patates et disparu des lieux. Nous avons entendu nous-mêmes des tirs. Et c’était plus proche.
Je garde en mémoire trois images. La première, celle de notre meilleur professeur de mathématique Monsieur Vanakèlé Toundoufédouno, les mains et son cartable sur la tête, entrain de pleurer mais ne fuyant pas. Il n’arrêtait pas de demander « Eh vandaa haa yè nda yemè nè » « Eh les gens là, qu’est-ce qu’ils veulent au juste ». La deuxième est celle de notre professeur de biologie Madame Mahawa Tolno (alors là c’est pitoyable). Elle donnait cours ce jour-là dans une classe de 8ème année. Elle a commis l’erreur de dire aux élèves d’attendre que le principal nous autorise à partir ou pas. Elle n’était pas sûre que les rebelles puissent revenir encore à Gueckédou. Elle se fiait à la communication du gouvernement. Les élèves l’ont poussée et elle est tombée. C’est bien sur elle que beaucoup sont passés pour s’échapper, elle a failli être tuée par ses propres élèves. Heureusement, l’établissement n’était pas encore clôturé.
La troisième est celle de notre principal Monsieur Léon Tamba Koundouno. Il a oublié sa moto et s’est mis à courir avec nous. En 2000, il avait déjà plus de 60 ans je pense, il avait du mal à courir si vite. C’est un de ses neveux qui a pris le courage de prendre la moto pour la lui donner à quelques encablures du pont sur le fleuve Waou. Le pont qui relie la commune de Gueckédou à l’ensemble de ses sous-préfectures, excepté Tékoulo et Guèndèmbou.
L’Ulimo, ce combattant au comportement douteux
Au niveau de ce pont se trouvaient des militaires qui ont attendu que les élèves passent, le reste de leurs actions, n’a été que du sang. Nos frères jeunes volontaires sortent comme le 6 décembre pour combattre l’ennemi. Ils n’ont ni formation, ni protection. Eux qui s’attendaient à tuer ou repousser les rebelles, auraient croisé de agents de la milice Ulimo (United Libération Movement of Libéria for Democracy) de Aladji Kromah qui combattait contre Charles Taylor. Des semaines plutôt cette milice avec les Kamandjors, combattaient aux côtés de l’armée guinéenne contre le même ennemi. Les miliciens de l’Ulimo se seraient donc mis à tirer, mais sans cesse sur ces jeunes volontaires. Avant qu’ils ne se rendent compte qu’ils avaient à faire à deux groupes ennemis, beaucoup d’entre eux avaient déjà été tués.
Jusqu’aujourd’hui, nous ne savons pas pourquoi ce revirement de l’Ulimo. Nous ne savons pas non plus pourquoi, le gouvernement guinéen a minimisé les chiffres : 80 officiellement. Nos frères jeunes volontaires sont morts en nombre, plusieurs autres ont été blessés, je n’ai pas de chiffres. Et l’Etat, ne dit jamais combien de rebelles ont été tués. Des rebelles qui connaissaient trop notre ville, nos quartiers, des maisons, boutiques et magasins qu’ils devraient vandaliser et des riches qu’ils devraient abattre pour être des étrangers. Nos frères jeunes volontaires nous ont même confié avoir vu des guinéens parmi les assaillants. Et des otages ? On n’en a même pas parlé dans les discours officiels.
Nous avons pu suivre des accrochages les jours qui ont suivi l’attaque du 10 janvier dont vraisemblablement l’auteur ne serait pas loin de l’Ulimo, entre cette milice et les autres groupes armés composés de jeunes volontaires guinéens, Kamandjors et militaires guinéens. J’ai échappé à une bataille, qui si elle n’avait pas été maîtrisée, allait commettre plus de victimes que Gueckédou et Macenta réunis.
Le 20 janvier, je pars de Lewa en compagnie de mon grand frère Pascal pour Kat Kamah, un village situé sur la nationale Gueckédou-Kissidougou. Le gouvernement guinéen l’avait choisi de commun accord avec le HCR pour le regroupement de tous les réfugiés libériens et sierra léonais qui devraient être rapatriés ce premier semestre de l’année 2001. Notre grand frère aîné Eric Moriba qui est agent technique de santé communautaire, travaillait pour le compte de l’ONG Médecins du monde dans ce camp de regroupement. Je devrais donc le trouver pour que je puisse rejoindre mes autres frères qui étaient déjà à Kissidougou pour les études. Mon grand frère Pascal et moi avons parcouru plus 30 kilomètres à pieds. Il n’y avait pas suffisamment de transporteurs qui osaient s’y aventurer.
Arrivés à Kat Kamah, le frère m’a laissé au bord de la route pour aller trouver notre aîné, envahit par une foule nombreuse de réfugiés prêts à partir. Ils étaient vraiment débordés ces agents techniques de santé qui avaient évolué dans les camps de réfugiés. Je l’ai su plus tard ; Kat Kamah, était de facto devenu un lieu où plusieurs intérêts étaient en jeu : les femmes, les vivres, les biens matériels que les réfugiés ne pouvaient pas emmener avec eux et l’argent. Sur ces intérêts, les groupes armés venus sécuriser les lieux, ne s’entendaient pas.
Encore là, les quatre groupes se retrouvent en grand nombre : l’armée guinéenne, les jeunes volontaires, les Kamandjors et l’Ulimo. Et d’un seul coup, les tirs ont éclaté. Il y avait des milliers de réfugiés, je loue le seigneur qui a dû leur parler ce jour, mais ce serait un carnage inoubliable, puisque la foule était massée à un seul endroit donc facile à massacrée.
Automatiquement les véhicules du HCR ont commencé à bouger, sans prendre même les réfugiés qui devraient probablement passer quelques formalités avant le départ. Mon frère parti chercher notre aîné, n’était toujours pas revenu. Je reste là, les yeux rivés partout et surtout, je ne savais quoi faire. L’idée me vint alors de m’embarquer avec un groupe de réfugiés. C’est quand j’étais sur le point d’attraper une barre de fer qui servait d’échelle que mon grand frère est apparu, il a crié « Jacques, descends », Je suis allé vers lui, pendant ce temps les tirs se poursuivaient. Nous avons fui sur une longue distance, à des endroits et avec des personnes qu’on ne connaissait pas. J’ai vu des véhicules filer à des vitesses inimaginables, mais en marche arrière. Nous sommes restés cachés un bon moment au bord d’une rivière, jusqu’à ce que le calme soit revenu. Après mon grand frère m’a dit qu’il n’a pas vu notre aîné. Pas de téléphone à l’époque, donc on ne pouvait pas l’appeler. Nous sommes donc repartis comme nous sommes venus à pieds pour le village. C’est une semaine après que notre grand frère Eric a envoyé quelqu’un me chercher pour m’amener à Kissidougou, via Badala, qui a un marché hebdomadaire et qui est très fréquenté. Cet accrochage de Kat Kamah, les médias n’en ont pas parlé. D’ailleurs la RTG seule à l’époque ne nous informait pas sur l’attaque, seules les radios étrangères.
A Kissoudougou, nous étions des déplacés de guerre. On nous appelait ainsi. Nous avions droit à quelques vivres de la part de la Croix rouge. Dans les écoles guinéennes de Kissidoudou, les encadreurs nous ont malgré tout demandé de payer pour des tables bancs. Nous en avons acheté. Moi au collège central de Kissidougou (CCK), mon grand frère Bernard au Lycée Ernesto Ché Guéwara et le grand frère Alain à l’école primaire de Yassafè Koura.
Kissidougou est une ville d’hospitalité. Nous étions dans une famille Kouranko très gentille. Je ne sais même pas combien notre grand frère payait comme loyer, mais cette famille partageait tout avec nous. Notre belle-sœur (l’épouse du grand frère aîné) y appris à faire du toh, mon grand frère Alain Bruno et moi, vendions du pétrole les nuits. Malgré cette hospitalité, nous étions pressés de repartir à Gueckédou, chez nous. C’est ce que nous avons fait dès juillet 2001. Nous sommes repartis pour ne plus bouger, sauf après le baccalauréat. Défigurée, même dans la poussière, nous l’aimions, nous l’aimons.
19 ans après, je demande à l’Etat de fournir des réponses à ces questions que tout le monde se pose. Qui nous a attaqués réellement ? Nous entendions un certain Fofana parler au nom de la rébellion (je me méfie du prénom) à travers les médias internationaux. On ne m’a pas raconté, j’écoute les radios internationales depuis que j’étais tout petit. C’est là j’ai retenu des grands noms de la presse qui m’ont bien sûr donné envie de devenir un jour journaliste : Amadou Diallo de BBC afrique, Mouctar Bah, Serges Daniel de RFI, Ben Daouda Sylla d’Africa N°1, Alpha Kabinet Doumbouya de la voix de l’Amérique. Ce Fofana est donc guinéen ? Et la rébellion avait quelle nationalité et motivations ? Pourquoi il n’y a jamais eu d’enquêtes pour situer les responsabilités ? Pourquoi l’Ulimo aurait tiré et tué les jeunes volontaires ? Pourquoi l’Etat n’a pas respecté sa promesse vis-à-vis des jeunes volontaires ? Il avait promis de les recruter dans l’armée. Tous n’ont pas été pris.
Pour la reconstruction de Gueckédou, ça viendra avec le temps. De toutes les façons, pour l’instant certains cadres ressortissants de Gueckédou, dont les voix portent plus que les nôtres, estiment que tout va bien chez nous, ils le disent quand ils sont dans les médias ou devant les représentants de l’Etat au plus haut niveau. Qu’on n’y ait rien détruit. Et là je parle à la fois de ceux qui étaient là ministres et hauts cadres sous le régime de Lansana Conté qui ne se sont jamais battus pour que notre belle cité détruite ait le statut de ville sinistrée et ceux qui servent aux côtés d’Alpha Condé aujourd’hui qui se moquent de nos frères qui supportent la poussière en saison sèche et la boue en saison des pluies en leur demandant de ne pas se plaindre. S’y ajoutent les actuels préfet et maire de Gueckédou. Donc mon témoignage n’est pas pour quémander un investissement. Mais des réponses, pour qu’on sache enfin l’erreur qu’on n’a commise pour mériter un tel supplice.
Je souhaite qu’avant le 20ème anniversaire (en décembre 2020) qu’il y ait un début de réponses à toutes ces questions que les dignes fils de Gueckédou se posent tous les jours. Nous n’avons aucune haine et n’accusons personne d’en être l’auteur. Mais nous croyons que l’Etat dispose des moyens pour chercher, trouver et punir l’auteur qui, s’il est guinéen, est apatride. On ne prend pas les armes contre ses propres frères.