Le caporal légionnaire Mamadi Doumbouya n’est sorti ni de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr ni de la faculté de droit pour s’embarrasser de préoccupations intellectuelles dans l’exercice de son pouvoir. Il confirme facilement l’imagerie de quelques théoriciens européens sur ce que devrait être un « bon président noir » : un leader brutal, soumis à l’ordre occidental, caricatural avec de nombreux ornements sur la poitrine, les poches remplies de billets de banque qu’il distribue à des courtisans aux pieds et à de nombreux « marabouts noirs et blancs » en quête de cash sur le continent africain.
Pour eux, un bon chef, c’est celui qui ne surcharge guère sa gouvernance, avec des questions de démocratie et droits de l’homme, artifices trop compliqués pour l’Afrique.
Un luxe, comme disait, jadis, le président français Jacques Chirac.
Le constat s’impose. Le caporal Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir comme un cambrioleur prendrait possession d’une banque pour vider son contenu. Nous sommes loin des agissements d’un militaire qui aurait « pensé » une révolution, à l’instar des officiers libres comme Gamal Abdel Nasser ou de justiciers du sankarisme, au Burkina Faso, qui avaient « théorisé » la révolution, avant de prendre le pouvoir.
Depuis le 5 septembre 2021, le légionnaire guinéen, au passé trouble, gouverne la Guinée, dans l’indifférence internationale, comme on gouvernerait le Gondwana, cette république imaginaire crée par le Nigérien Mamane, sur les ondes de Radio France internationale (RFI). Une république du tout et du rien commandée par un potentat qui prétend donner des ordres, même aux poissons qui dorment dans l’eau.
Sous la férule d’une nouvelle junte, la Guinée s’est progressivement éloignée du principe du philosophe Charles Louis de Montesquieu, édicté en 1748 dans son célèbre ouvrage De l’esprit des lois : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est-à-dire, le respect de la règle de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, afin d’éviter la tyrannie de la gouvernance.
Aujourd’hui, en Guinée, malgré les efforts entrepris depuis 2010 pour rendre la justice indépendante et crédible, celle-ci est revenue aux années d’avant, malgré l’existence d’un Conseil supérieur de la magistrature. Dans quelle république au monde, comme on a vu récemment, des directeurs d’établissements publics seraient-ils convoqués dans un camp des forces spéciales pour rendre compte de leur gestion à des soldats para commandos ?
La première blessure infligée aux Guinéens relève de la négation de la justice et de l’Etat de droit. Devant le silence de la communauté juridique internationale, c’est l’ex-légionnaire français qui décide à la place de la justice. Sans aucune distinction entre les magistrats du parquet et ceux du siège. Sous le nouveau régime, un juge qui conteste est un juge que l’on change ! Le garde des Sceaux, et ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Alphonse Charles Wright, est à la fois le procureur de la République, donnant la liste des personnalités à exclure du jeu politique, et lancer contre eux des poursuites sans dossiers.
Au risque d’ordonner des détentions abusives et sans délais. Puisque régulièrement, des juges sont convoqués au palais Mohammed-V pour recevoir des instructions ou couvrir des décisions, notamment la saisie des comptes de personnalités indexées, sans décision de justice.
La présomption de culpabilité s’est également substituée à celle d’innocence. C’est à l’innocent désormais de prouver sa non-culpabilité. De cette injustice manifeste, les Guinéens n’en ont cure. Depuis le régime du président Ahmed Sékou Touré, ils sont habitués à l’arbitraire et au spectacle de la destruction de l’autre. Certains sont aujourd’hui terrorisés par la violence exercée sur eux depuis 2021 – détention politique, confiscation des libertés et biens, kidnapping par des éléments masqués des forces spéciales, assassinats, tirs à balles réelles contre les manifestants. D’autres sont contraints à l’exil, comme les principaux leaders de l’opposition. Les plus opportunistes des Guinéens, eux, ont rallié Mamadi Doumbouya, pour avoir la paix et de nouvelles promotions. Quant à la grande majorité de la population, elle peine à trouver la dépense quotidienne.
La police fait la justice, la justice fait du commerce, en tentant de racketter les personnes incriminées, en échange de leur liberté.
La séparation des pouvoirs attendra.
Dans ce « paradis » des Forces spéciales, c’est une véritable schizophrénie qui s’est emparée des nouveaux dirigeants, les mêmes qui prétendent lutter contre la corruption, tout en s’enrichissant eux-mêmes au grand jour. Faute de Parlement censé voter la loi de finance, les dépenses de l’Etat sont décaissées directement sur simple ordre de la présidence, via le Trésor et la Banque centrale.
Mamadi Doumbouya, lui, en profite pour arroser de nombreux marchands d’illusion qui se ruent sur Conakry ; le buffle aime l’argent.
L’ancien président Alpha Condé aurait ainsi agi, qu’il aurait eu les honneurs des médias occidentaux. Mais Mamadi Doumbouya est un bon garçon, pour le Gondwana. Lui, au moins, n’est pas comme le Malien Assimi Goïta qui a décidé de couper le cordon ombilical avec Paris.
Cela vaut bien une messe.
Paul F Soumahoro