Vraisemblablement, pour briser le cercle infernal du commerce des faux médicaments en Guinée, il faut s’armer de grande patience. Ce business n’a jamais autant été aussi lucratif en Guinée qui bat le record ouest africain du pays disposant du plus grand nombre de sociétés grossistes répartitrices. Ces sociétés sont chargées d’approvisionner les officines pharmaceutiques privées à Conakry et à l’intérieur du pays. Le médicament étant un produit stratégique dont la manipulation n’est réservée qu’aux seuls spécialistes du domaine de la santé, plusieurs pays limitent au strict minimum le nombre de sociétés grossistes.
Pour une population totale de cent dix millions cinq cent mille d’habitants (110.500.000 hbts) pour neuf pays de la sous-région (Mali, Cote d’ivoire, Sénégal, Mauritanie, Burkina Faso, Benin, Togo, Niger, Gabon), totalisent 30 sociétés grossistes répartitrices. La Guinée, à elle seule avec 11,1 millions d’habitants, dénombre plus de 100 sociétés grossistes soit trois (3) fois plus que l’ensemble des 9 pays. Et ces données sont confirmées par la Direction Nationale de la Pharmacie et des laboratoires.
Des sociétés Grossistes répartitrices qui brassent des milliards de Francs Guinéens
Nombre de sociétés grossistes sont créées en toute illégalité. Les critères administratifs et juridiques ne sont pas respectés par la majorité d’entre elles. 59% ne remplissent pas ces critères. Rien qu’en 2016, un chiffre d’affaires de 1.410.800.388.162 GNF de produits pharmaceutiques, a été réalisé par 146 sociétés grossistes. Sur les 146 ayant importé, seules 43 disposent d’agrément (arrêté de création et visa d’exploitation).
Que fait donc la Direction Nationale de la Pharmacie et des Médicaments ?
Pourtant, c’est cette direction logée dans les entrailles du ministère de la santé et de l’hygiène publique, qui a pour rôle notamment de s’assurer que toutes les demandes d’agréments répondent aux critères légaux. Et comble du désespoir, aucune des 103 sociétés grossistes illégales n’alimentent les 400 pharmacies répertoriées sur le territoire national. Alors, ces médicaments alimentent quel marché ?
Dans cette course effrénée au profit, la pharmacie centrale de Guinée PCG qui est la société grossiste de l’Etat, est laissée pour compte. L’Etat a passé des commandes de médicaments à hauteur de 136.860.602.794 francs guinéens, or, pendant la même période, la PCG n’a réalisé que 1.581.552.431 francs guinéens. Au même moment, un laboratoire pharmaceutique chinois totalise 40% des marchés de l’Etat pour un chiffre d’affaires de 54.860.342.065 francs guinéens, alors que cette société n’a aucun agrément de société grossiste répartitrice.
Le ministère de la santé et de l’hygiène publique, amorphe et complice
La Direction Nationale de la pharmacie au regard de la loi, doit demander l’avis motivé du conseil national de l’ordre des pharmaciens, de l’inspection des pharmacies et de la sous-commission des agréments avant la délivrance de tout agrément et visa d’exploitation. Cette direction ne joue pas son rôle. Les agréments s’octroient aux sociétés grossistes sans le respect de ces préalables, contribuant ainsi à ouvrir les portes à la contrebande médicamenteuse.
Le pharmacien qui est le garant, engage sa responsabilité pour la création d’une société grossiste répartitrice. La rédaction et la signature de sa propre main de la demande de création après avoir lui-même désigné par l’organe délibérant : une (1) seule société sur 93 est conforme à ce critère important de création d’une société grossiste soit 1%.
La loi dispose que les pharmaciens sociétaires, doivent disposer du pouvoir de décision, donc majoritaire dans le capital. Sur 94 sociétés, seulement 12 ont respecté ce critère soit 13%.
Le ministère de la santé et de l’hygiène publique, n’est pas qu’amorphe face à ce fléau, il est aussi complice. L’argument qui soutient cela, se sont deux arrêtés. L’un pris par Dr Naman Keita en 2013, autorisant MANDA PHARMA à créer et exploiter une société grossiste et le second en Octobre 2018 par Dr Niankoye Lamah, qui autorise la même société grossiste à créer et exploiter or, la loi dispose qu’au-delà de 12 mois, l’agrément octroyé est respecté ou suspendu.
Il existe un instrument juridique contraignant dans le domaine du droit pénal, qui criminalise la contrefaçon mais aussi la fabrication et la distribution de produits médicaux mis sur le marché sans autorisation ou en violation des normes de sécurité. C’est la convention MEDICRIME élaborée par le conseil européen et qui a été ratifiée par la Guinée. Conforment à cette loi, le haut commandement de la gendarmerie nationale a mis en place un dispositif organisé, pour prêter main forte au ministère de la santé dans la lutte contre les trafiquants de faux médicaments, mais en vain.
Le ministère de la santé ne semble pas avoir compris que ce fléau représente un double crime sanitaire et social : Le fait de tuer des malades et des malades pauvres comme l’a déploré un expert du domaine.
Est-il besoin de rappeler au ministère de la santé que le commerce de ces médicaments hors du circuit légal, est un business plus lucratif que celui de la cocaïne en Guinée ?
Il est grand temps que l’ordre national des pharmaciens, prennent la question à bras-le-corps au risque d’être la passoire par laquelle les contrebandiers légalisent leurs marchandises.
Mamoudou F KEITA